Préserver la mobilité des conducteurs seniors

Ils roulent moins vite, moins loin et plutôt de jour. Sur la route, les seniors s'adaptent et demeurent la catégorie de la population la moins accidentogène.
Mais quand vient le jour où il faut laisser la voiture au garage, l'épreuve est vécue comme un véritable deuil. Pour contraindre les récalcitrants, une loi pourrait obliger les plus de 70 ans à passer un examen médical.

10/12/2013
5 minutes

C'est un véritable serpent de mer, qui refait surface à chaque accident spectaculaire impliquant un conducteur âgé. Faut-il imposer une visite médicale pour évaluer l'aptitude des seniors à conduire et les contraindre, le cas échéant, à lâcher le volant ?

La première proposition de loi remonte à 1994, puis il y eut 2002, et enfin 2013. Toutes enterrées les unes après les autres. “Pas cette fois”, promet le sénateur centriste de la Marne, Yves Détraigne, qui est revenu à la charge en juin, proposant un examen médical à 70 ans puis tous les cinq ans. Un groupe de travail est sur le point de voir le jour. “J'ai reçu des courriers incendiaires, on m'a dit “arrêtez d'embêter les Français !”… C'est rare qu'une simple proposition fasse autant de bruit”, remarque Yves Détraigne avant de s'exclamer : “on va finir par faire figure d'exception !

En effet, en Espagne, les conducteurs passent une visite médicale tous les deux ans après 60 ans, après 65 ans pour les Grecs ou encore les Croates et au-delà de 70 ans en Suisse. En Finlande, le permis est automatiquement retiré à 70 ans sauf avis médical contraire. Aux Pays- Bas, au Danemark et en Grande-Bretagne, il n'est valable que 10 ans. Depuis avril, la France a adopté le permis européen dont la durée de validité est de 15 ans. “Le renouvellement restera-t-il une simple formalité administrative ou sera-t-il accompagné d'un examen médical, d'une mise à jour des connaissances du Code de la route ?”, interroge le sénateur.

Les détracteurs crient à la “discrimination”, à la “stigmatisation des seniors”. “Je ne suis pas contre un contrôle médical mais à ce moment-là, c'est pour tout le monde, tout au long de la vie ! Pourquoi faire porter le chapeau aux personnes âgées ? Des problèmes cardiaques, de vue, cela peut arriver chez les jeunes aussi”, s'indigne Joëlle Le Gall, présidente de la fédération nationale des associations de personnes âgées.

DES SENIORS PLUS EXPOSÉS EN TANT QUE PIÉTONS QUE CONDUCTEURS

D'autant que les seniors, qui comptent pour 20 % des conducteurs représentent moins de 7 % des tués dans les accidents de la route, selon les chiffres de la sécurité routière en 2011. “Contrairement aux idées reçues, ils sont sous-représentés dans l'accidentologie mais leur âge les rend vulnérables. Aussi, le taux de gravité des accidents est-il souvent plus important que pour le reste de la population”, résume Emmanuel Renard, directeur du service éducation de la Prévention Routière, qui insiste sur le “comportement sécuritaire” des conducteurs âgés : “La plupart ont développé des stratégies pour ne pas se mettre en danger, ils ne conduisent plus la nuit, adaptent leurs itinéraires, se garent volontiers en périphérie des villes pour emprunter ensuite les transports en commun et s'éviter les manœuvres en centre-ville. Ils roulent en général plus lentement et doublent moins.”

C'est plutôt dans la catégorie piétons, que les seniors sont surreprésentés, comptant pour 50 % des tués. “En fait, si on voulait faire baisser de manière importante les accidents de la route en enlevant un groupe de la population, ce serait celui des 18-24 ans, qui représentent seulement 14 % de la population mais un quart des tués sur la route !”, ironise-t-il. Comme l'Automobile Club, la Prévention Routière organise des stages à destination des seniors pour leur donner les clés leur permettant de conduire le plus longtemps possible en toute sécurité. Et Emmanuel Renard de raconter qu'à chaque session, ils hésitent avant de confier leurs difficultés, redoutant que les formateurs ne leur retirent le précieux papier rose…

“DEUX DOIGTS SUR LA TEMPE”

En effet, cesser de conduire est vécu comme un véritable “deuil”, explique Catherine Espinasse, psychosociologue auteure de nombreuses études sur les mobilités des seniors. “Quand, lors des entretiens, je demandais aux seniors ce que signifiait pour eux de ne plus conduire, beaucoup mettaient deux doigts sur la tempe… C'est la mort, la mort sociale, l'entrée dans la dépendance.” Au fil de son travail, elle a pu mesurer “l'attachement extraordinaire” de la “génération qui a vécu les trente glorieuses” à “l'objet voiture” : “l'automobile fait partie de leur culture, c'est leur jeunesse, l'émancipation des femmes, l'entrée dans la vie active, les vacances. À la retraite, elle représente la possibilité d'aller faire ses courses, d'aller voir ses enfants, petits-enfants. C'est un outil de lien social.” Et de citer le cas de ses femmes veuves, rurales, qui n'ont jamais été que passagères et qui traversent un double deuil, perdant l'usage de la voiture en même temps que leur époux. “Elles conservent la voiture, dans le jardin, le garage. Elles la gardent et la regardent, comme un mausolée, le contenant de souvenirs heureux…

MOBILISER LES MÉDECINS TRAITANTS POUR DÉCHARGER LES ENFANTS

Comment les seniors lâchent-ils le volant ? Catherine Espinasse, a cerné deux attitudes. “La majorité arrête progressivement de conduire, font des trajets moins longs, toujours le jour… D'autres arrêtent subitement, essentiellement des hommes : ils ont eu un petit accident, loupé l'entrée du parking, égratigné la carrosserie… Et là, ils sont vexés, meurtris par cette faute. C'est une blessure narcissique qui les pousse à renoncer.” Seulement, reste cette minorité d'irréductibles qui, raisonnablement, devrait raccrocher mais n'en a pas conscience ou ne parvient pas à s'y résoudre. “Comment un enfant peut-il dire à son père qu'il n'est plus capable de conduire ? Il a appris à conduire grâce à lui, a choisi sa première voiture… C'est comme tuer son père ! Une grande histoire œdipienne se joue là.” Alors certains élaborent des stratégies d'évitement, faisant croire que la voiture est en panne, que quelqu'un l'a empruntée… “Le corps médical a des responsabilités à prendre, car il n'est pas possible pour les enfants d'être les seuls sur lesquels repose le poids de l'arrêt de la voiture, c'est très dur.

Pour autant, la psychosociologue n'est pas favorable à une visite médicale systématique. Il serait préférable, selon elle, de mobiliser les généralistes, déplorant que “lors des consultations, le médecin traitant aborde peu voire pas du tout la question du permis de conduire”. “Ils sont complètement désarmés !”, plaide le Dr Dominique Richter, médecin du permis de conduire. “À cause du secret médical, les généralistes, même s'ils diagnostiquent une démence comme Alzheimer ou un problème d'acuité visuelle, peuvent seulement conseiller à leur patient d'arrêter de conduire mais n'ont pas le droit d'avertir la préfecture”, explique-t-il. En commission médicale des permis de conduire, il voit défiler essentiellement des jeunes, arrêtés pour consommation d'alcool ou de stupéfiants. Puis il y a les professionnels de la route qui ont une visite médicale tous les cinq ans, les personnes souffrant de diabète, d'épilepsie… Mais des seniors, le Dr Richter n'en voit jamais. L'année dernière, sous l'égide de la sécurité routière, une plaquette “santé et conduite” a été distribuée à l'ensemble des généralistes. Elle attire leur attention sur les principales causes d'inaptitude à la conduite.

RENONCER À LA VOITURE MAIS PAS À LA MOBILITÉ

Quand des alternatives efficaces existent, faire le deuil de sa voiture peut s'avérer nettement moins douloureux. “À Paris, arrêter de conduire est un acte citoyen revendiqué, une fierté”, a découvert Catherine Espinasse. “Ces plus de 65 ans, qu'ils appartiennent aux classes sociales huppées ou défavorisées, sont devenus des experts en mobilité choisie, ils ont une connaissance incroyable des réseaux de transport collectif !” À la campagne, les dispositifs pour maintenir la mobilité des aînés sont insuffisants. “Il faut développer de petits systèmes souples, la demande en minibus est massive. Il faut être innovant, imaginer du covoiturage, pourquoi pas des systèmes d'échange du type trois poireaux contre un trajet…”, suggère la chercheuse. Et Joëlle Le Gall d'insister : “privées de leur voiture, les personnes âgées isolées se laissent couler très facilement, elles s'enferment chez elles, abandonnent, puis il y a les chutes et la perte d'autonomie s'aggrave…

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