Tu téléphones au volant ? Non mais allô…

Le téléphone portable est en cause dans un accident sur dix.Il est le distracteur le plus dangereux au volant et le cheval de bataille du brigadier Jean-Luc Donath. Reportage avec ce motard sur une autoroute.

10/10/2013
5 minutes

Un motard vous lance d'insistantes œillades sur l'autoroute ? Il s'agit peut-être de Jean-Luc Donath, major de police, chef du groupe de lutte contre la délinquance routière à Strasbourg. Le CRS fait la chasse aux “distracteurs” au volant – comprendre : tout ce qui détourne l'attention du conducteur. En réalité, il s'agit principalement du téléphone portable. L'année dernière, le motard a dressé 200 PV rien que pour cette infraction. C'est son “cheval de bataille” comme il aime à le répéter. Le téléphone serait en cause dans 1 accident sur 10. “La sécurité routière est une noble cause. Si mon travail a déjà permis de sauver une vie, alors c'est gagné.”

Rendez-vous est pris au PC autoroute, le poste de commandement où 55 CRS se relaient jour et nuit pour surveiller les 160 km et 37 échangeurs que compte le secteur autoroutier intra-urbain de l'agglomération strasbourgeoise. Son déjeuner avalé à la cantine des CRS, Jean-Luc Donath enfile sa veste en cuir et son casque. Aux tâches administratives, ce passionné de moto préfère le terrain, auquel il essaie de consacrer 60 % de son temps de service. Réductions d'effectifs obligent, sur les six motards de la brigade, il est le seul à patrouiller habillé en civil et sur une moto banalisée alors que passent devant le PC autoroute entre 160 000 et 200 000 véhicules par jour.

L'après-midi commence fort. Le motard n'a pas encore rejoint la zone de surveillance qui lui incombe qu'une cycliste, aux abords des institutions européennes, grille un feu, un casque audio vissé sur le crâne. Plus loin, un piéton, absorbé dans sa conversation téléphonique, zigzague dangereusement sur une piste cyclable. Jean-Luc est exaspéré. Le feu passe au vert, on monte sur l'autoroute, doublé par une flopée de voitures en excès de vitesse. Mais tant qu'ils ne le font pas le téléphone à l'oreille ou à la main, Jean-Luc ne les arrête pas.

ARRÊTER LES “ACCIDENTOGÈNES”

Il connaît la route par cœur, la quitte des yeux pour scruter chaque habitacle, voiture, camion, fourgonnette. Rien ne lui échappe. Un petit SMS furtivement envoyé, Jean-Luc se positionne aussitôt dans l'angle mort du véhicule et le suit. Et avec ses lunettes à verre polarisant, les vitres fumées ne sauraient lui résister. “La personne qui décroche et raccroche aussi sec pour dire à son interlocuteur qu'elle rappelle dès qu'elle est garée, ça ne m'intéresse pas.” Idem pour ceux qui, coincés dans les bouchons, préviennent qu'ils seront en retard. Non, ceux que Jean-Luc traque en priorité, ce sont les “accidentogènes”. Les accros du téléphone, qui passent tous leurs coups de fil depuis la voiture, envoient des SMS, relèvent leurs mails, surfent sur facebook, tweetent ou utilisent leur smartphone comme GPS. Ceux-là qui ne se rendent même pas compte que leur conduite en pâtit. Et justement, voilà une citadine en train de créer un embouteillage sur une bretelle d'accès. Elle squatte ensuite la voie centrale. Quand elle se rabat enfin, c'est sans clignotant. Jean-Luc se positionne dans l'angle mort, la conductrice tient son smartphone au niveau du volant, un appel vidéo visiblement.

“COMBIEN CELA VA ME COÛTER ?”

Le motard la suit sur plusieurs kilomètres, histoire de bien “caractériser” l'infraction.
Puis c'est quand même 135 euros d'amende et trois points de permis…”, lâche-t-il à travers son casque. Mais là, plus de doute : Jean-Luc entre en action. Il dégaine le brassard fluo, les gyrophares, la sirène et gronde de l'index. Il la fait stationner sur un zébra à la première sortie.

Quand il s'approche, la conductrice, médecin, la cinquantaine, a déjà baissé sa vitre et demande, la mine dépitée, “combien cela va me coûter ?

Elle est de bonne foi, elle marque des points pour ne pas en perdre. Il énumère toutes les infractions. Elle ne s'est rendu compte de rien et fait profil bas mais tente malgré tout de négocier : elle n'avait pas le téléphone à l'oreille mais à la main. Jean-Luc est inflexible, le Code de la route est clair : “L'usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit.

LE KIT MAIN LIBRE : VERBALISABLE MAIS TOLÉRÉ

Téléphoner au volant multiplie par 5 le risque d'avoir un accident et le temps de réaction augmente de 70 %”, insiste Jean-Luc qui conseille à la conductrice d'investir dans un kit mains libres. “Je croyais que c'était interdit”, rétorque-t-elle interrogative. “C'est toléré”, lui répond le CRS avant de nuancer : “en fait, je peux aussi vous verbaliser pour cela”. Un dialogue de sourds s'engage. C'est que le législateur ne facilite pas toujours la tâche de Jean-Luc.

En effet, si le kit mains libres n'est pas interdit par le Code de la route, le conducteur peut néanmoins être verbalisé sur le fondement de l'article R412-6 qui stipule que “tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent.” Là, le forfait est de 35 euros d'amende mais aucun point n'est retiré au permis de conduire. Sauf que, d'après cet article, toute distraction pourrait être verbalisable : fumer, manger, essayer de faire taire un enfant qui hurle à l'arrière, choisir un CD, lire une carte routière… “Il faut faire preuve de discernement et de bon sens”, tempère Jean-Luc.

INTRANSIGEANT AVEC LES PROFESSIONNELS DE LA ROUTE

Jean-Luc enfourche à nouveau sa moto pour poser le pied quelques mètres plus loin. Les bretelles d'accès surélevées lui offrent un point de vue privilégié sur les automobilistes en contrebas.

Subitement, il fonce, remonte le flux de véhicules jusqu'à la camionnette blanche repérée quelques minutes plus tôt. Le conducteur saisit son téléphone à plusieurs reprises, le pose. Le CRS le fait garer sur le parking du PC autoroute. Il s'agit d'un chauffeur-livreur. Il aura beau dire qu'il regardait simplement l'heure sur son smartphone, rien n'y fait. “Les professionnels de la route passent toute la journée sur la route, plus que n'importe quel usager, ils doivent être vigilants et adopter une conduite responsable.

Le téléphone au volant est une infraction plutôt très répandue chez les VRP, les commerciaux et les femmes, a-t-il pu observer. Et “les jeunes femmes adoptent souvent la même méthode : elles essaient d'abord de plaisanter, de faire du charme, puis tentent d'émouvoir, pleurent, avant de s'énerver. Là, elles peuvent être très mauvaises !”, sourit-il. “Les hommes sont plus dans le rapport de force.” Une seule fois, Jean-Luc a dû appeler ses collègues en renfort. Alors qu'il dressait un procès-verbal, le jeune conducteur a redémarré son fourgon pour lui foncer dessus. Le policier a été traîné sur le capot durant 25 mètres.

FUTILITÉ ET TÔLE FROISSÉE

Il repart, une voiture zigzague, chevauche la bande d'arrêt d'urgence, ne respecte pas les distances de sécurité. Jean-Luc lui colle au train mais le conducteur ne voit rien. Il se justifiera en expliquant qu'il était au téléphone avec son avocat, il est en plein divorce et la discussion téléphonique portait sur les chiffres… Absorbé par la conversation, lui non plus ne s'est pas aperçu des imprudences commises. Jean-Luc Donath s'agace face à tous les nouveaux gadgets que proposent les constructeurs auto, les écrans, télécommandes qui pullulent sur les tableaux de bord et permettent de surfer sur le web, regarder la télé. Mais ce qui l'inquiète surtout, c'est la “nouvelle génération”, “les ados qui vivent dans l'immédiateté et dont le Smartphone est devenu le prolongement de leur main.
Pour eux, ce sera naturel de s'en servir au volant. Mais s'ils se blessent, perdent une jambe, tuent quelqu'un, ils s'en voudront toute leur vie et pour quelle futilité ?” 

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